TW : Agression, viol, violence physique et morale, dépression, déni de grossesse.Parce qu’il n’est jamais simple de raconter son histoire, je me dis que si j’arrive noircir les pages de ce journal, peut-être que tous mes tourments, mes problèmes et mes secrets seront plus allégés et plus diffus. Non, je sais qu’ils ne disparaitront jamais totalement, c’est un fait que j’ai accepté mais je n’arrive pas à me regarder dans le miroir sans penser à cette jeune fille épanouie et souriante que j’étais alors et qui n’est plus que l’ombre d’elle-même lorsqu’elle me renvoi mon reflet actuel dans le miroir.
Mais raconter mon histoire n’est pas une mince affaire dans le sens qu’elle n’est pas dorée et toute rose comme beaucoup de gens le pense en me voyant actuellement et en voyant ma réussite professionnelle. Non, c’est une façade que je cultive afin que l’on ne m’embête pas avec l’aspect sombre de mon âme meurtrie.
Puisqu’il faut bien commencer à un moment donné, autant commencé par le début. La famille de ma mère est une famille riche par l’entreprise que mon grand-père a fondée et qu’il a su prospérer au-delà de notre Angleterre, terre de la moitié de mes origines. Une entreprise de Whisky anglais dans laquelle je travaille désormais et pour laquelle je suis vouée à reprendre la direction un jour. Bref. Les Hutchiston c’est la branche de ma généalogie qui m’a aimé, qui m’a chérit et qui a fait de moi celle que je suis aujourd’hui alors je leur doit beaucoup. L’autre branche, je n’en sais pas grand-chose, hormis un père absent et lâche, une colère vagabonde dans les yeux de ma mère et de mon grand-père et qui se trouve désormais au travers de mes propres yeux. Je le déteste pour son abandon et cela même si je ne suis pas mieux que lui. C’est peut-être d’ailleurs pour cela que je me déteste aussi dans le fond, parce que je lui ressemble et que cela me dégoute.
Ma mère a été semi-présente, semi-absente. Je crois qu’elle voyait trop mon père à travers moi et que cela la faisait souffrir. Enfin, c’est l’impression que j’avais étant enfante mais je me trompe peut-être. Dans le fond, nous n’en n’avons jamais vraiment parlé. C’est un peu un sujet tabou, le genre de sujet qui m’a valu une gifle ou deux étant enfant et dont j’ai rapidement compris qu’il ne fallait plus en parler. Heureusement, grand-père était présent pour moi et c’est lui qui m’a inculqué les valeurs de la famille. Il aurait surement aimé un héritier masculin mais bon, il n’a eu que moi. Et puis avec Grand-mère qui est décédée alors que j’étais encore jeune, il a eu besoin d’avoir de l’occupation pour ne pas penser à son deuil. Ce sont ses mots, pas les miens. Là où ma mère a échoué dans l’héritage familial parce qu’elle ne voulait pas travailler dans l’entreprise Hutchiston, il a vu en moi une relève toute trouvée lorsque j’ai avoué être intéressée par des études commerciales.
Me retrouvant dans une grande université de commerce des Etats-Unis qui n’est autre que La Booth School of Business de Chicago, je me suis affirmée parmi une majorité d’hommes qui ne voyait en moi que la naïve petite britannique d’origine qui se prenait pour une américaine. Alors oui, j’avais des origines anglaises que je chérissais mais j’étais bien née à San Francisco et je me sentais parfaitement américaine. Cependant même si j’avais réussi peu à peu à me faire ma place et même à me faire quelques ami.e.s. En un sens, cela me permettait de ne pas me laisser marcher sur les pieds mais également de voir que la vie n’était pas aussi facile et douce que je me l’étais imaginé étant enfant. Misère, si j’avais su à cet instant ce qui m’attendait, je me serais cassée de cette université avant de sombrer définitivement dans la morosité et la rancœur.
Tout s’est produit après les examens de fin d’études – que j’avais réussies en passant. Nous avions reçus nos résultats ainsi que le classement de notre promotion. Je n’étais pas majeure de ma promotion mais j’avais une place plus que satisfaisante. Détestée par un des hommes de ma promotion qui m’avait dans le collimateur depuis des années parce que j’étais meilleure que lui, il me reprocha rapidement son échec… comme quoi j’avais pris sa place, comme quoi je n’étais pas à ma place, comme quoi j’étais bonne pour être coiffeuse ou cuisinière à ses yeux… Bref, la jalousie mal placée d’un homme en mal de reconnaissance. Sur l’instant, j’ai encaissée les remarques en souriant et en me moquant de sa réaction mais le soir je changeais rapidement d’attitude. Le soir venu, il y avait une soirée étudiante pour justement fêter la fin des études et j’avais envie – comme beaucoup d’autres – de profiter de la soirée. Cependant, alors que je n’étais qu’à mon deuxième ou troisième verre de punch, la tête a commencé à me tourner et j’ai pris le temps de m’isoler du groupe afin de prendre l’air. Ce que j’ignorais alors c’est que mon verre avait été mixé avec du GHB. Le reste de la soirée est encore sensiblement flou mais j’ai encore les flashbacks et les cauchemars pour me rappeler de ce qui m’est arrivée. L’homme blessé dans son orgueil a abusé de moi ce soir-là et pas seulement avec son corps mais également avec ce qui semblait être un couteau ou une petite lame. Je me souviens de son visage au-dessus du mien avec son haleine embuée de l’alcool. Je me souviens de son rire et de mes quelques suppliques de s’arrêter mais rien n’y faisait…
Je me suis réveillée le lendemain à l’hôpital et j’ai alors appris que l’on m’avait agressé physiquement et sexuellement, que j’avais subit une microchirurgie réparatrice de mon corps mais qu’il me serait presqu’impossible de mettre au monde un enfant, que j’avais été brûlée avec une cigarette et que l’on m’avait poignardé pour me tuer, en vain puisque j’étais toujours en vie…. Enfin si l’on veut.
J’avais demandé à ne pas prévenir ma famille, enfin pas pour tout. Ils ont appris pour l’agression physique mais n’ont jamais su pour le viol. D’ailleurs hormis la personne qui m’a retrouvé baignant dans mon sang, le personnel médical et les quelques policiers qui se sont déplacés, personne n’était au courant de ce qui m’était arrivé et cela me convenait bien. L’on me prendrait pour une faible et ce n’était pas mon souhait. Je me devais d’être forte pour avancer. Cette force m’a fait construire une carapace, j’en ai conscience mais en même temps sans cela, je me serais totalement effondrée.
Peu de temps après la remise des diplômes a eu lieu et je me suis barrée de cet endroit avec la promesse silencieuse de ne jamais remettre les pieds à Chicago de toute ma vie. De retour dans la ville qui m’avait vu naître, j’ai commencé à travailler pour l’entreprise familiale et je me suis plongée dans le travail, oubliant cette soirée étudiante de la mort et tout ce qui allait avec.
Cependant, quelques mois plus tard, j’ai eu une vive douleur dans le bas-ventre et pensant à une crise d’appendicite, je suis allée à l’hôpital après mes heures de travail. J’ai eu la surprise d’apprendre, ou plutôt l’horreur d’apprendre que j’étais enceinte et que j’allais accoucher. Le déni de grossesse. J’avais fait un total déni de mon agression et donc il n’y avait donc rien d’étonnant à ce que je ne songe pas un seul instant à être enceinte. Cependant, la grossesse était arrivée à son terme et je me devais d’accoucher. Expliquant rapidement la situation et les conditions de cette grossesse à l’infirmière qui s’occupait de mon cas, je lui annonçais également que je ne me sentais pas capable d’avoir cet enfant. J’avais conscience que c’était probablement mon unique chance d’être mère mais c’était au-dessus de mes forces d’aimer un être alors que son père m’avait fait subir les pires atrocités. Après une nuit de travail, j’ai donc accouché d’une petite fille que j’ai refusé de tenir dans mes bras et que j’ai vu partir avec l’infirmière, les larmes aux yeux. Comme mon père j’avais abandonné ma fille, comme mon père je me détestais, comme mon père j’étais une lâche. Prise entre la colère et la dépression de cette perte malgré moi, j’ai demandé à laisser mon nom de famille malgré tout dans les papiers de l’abandon. Cette enfant avait le droit de connaître sa mère biologique mais personnellement je n’étais pas prête à être sa mère.
Reprenant ma vie de jeune femme sortant des études, j’ai à nouveau fait impasse sur cet aspect de ma vie et de mon passé. Cette agression, ce viol, cette grossesse et ce bébé n’avait jamais existés et je serais la prochaine héritière des Hutchiston pour l’entreprise de mon grand-père. Créant à nouveau un véritable déni autour de cela, je poursuivais ma vie bien malgré moi.
Néanmoins, le monde n’était plus rose bonbon, la vie n’était plus aussi facile et mes relations avec les hommes n’étaient plus les mêmes. Me montrant froide, je ne parvenais pas à me stabiliser avec quelqu’un. Gardant des secrets et des méfiances, je n’arrivais pas à m’ouvrir aux autres. Atteignant progressivement la trentaine, j’étais envahi par ce désir d’être mère mais cette peur de l’échec alors par frustration, je m’éloignais le plus possible de ces marmots bruyants qui me faisait de la peine. D’apparence, j’étais devenu froide et sans cœur, je m’en rendais bien compte mais qu’importe, c’était ma façon de me protéger et j’assumais totalement cette vie que je m’étais choisie.
J’avais adopté deux chats avec qui j’étais parfaitement moi-même et pour qui je donnais tout l’amour que je ne pourrais jamais donner à ma fille qui se trouvait quelque part dans le monde, ou même à d’autres hypothétiques enfants que je ne pourrais surement jamais avoir. Vivant seule dans mon appartement, j’ai malgré tout récemment commencé une relation avec Mathéo qui est adorable avec moi. Je vois bien qu’il tente de perce ma carapace mais je n’y arrive pas. Et puis il a un enfant qui, même s’il est loin d’être un garnement, me rappelle sans cesse que j’ai une petite fille quelque part. Je sais que cette relation est vouée à l’échec mais comme si je voulais me punir, je persiste et signe à m’accrocher à lui. Et même si cet autre homme terriblement attirant, Tiago, rencontré récemment est une furieuse tentation, je n’arrive pas à passer outre ma relation actuelle. Je sais que je suis en train de m’engouffrer dans une histoire qui va me faire mal mais c’était comme si je voulais me punir de tout ce passé sale qui me hante.
Dernière édition par Esther Hutchiston le Dim 15 Oct 2023 - 21:13, édité 4 fois