Le 18 novembre 1993, une petite tête brune voyait le jour dans un hôpital brésilien. Luan, le troisième de sa fratrie, était un prématuré, mais sans pour autant que sa vie ne soit considérée comme étant en danger. Il a rapidement été rejoint par le reste de sa fa fratrie, trois autres têtes brunes qui, ensemble, avaient complété la famille Oliveira à la perfection. Dès son plus jeune âge, Luan été le plus calme des six enfants, à minima verbalement. Il a toujours ressenti le besoin de courir partout, ou de faire une quelconque forme d'exercice, l'énergie qu'il possédait étant généralement bien trop forte. Alors évidemment, dans une famille de huit personnes, autant dire que ce n'était pas évident, ou en tout cas pas toujours. Les conflits existaient, tout comme les crises de colère, mais les règles étaient très claires chez les Oliveira : « Toujours discuter des problèmes au lieu de les laisser pourrir. » Et au final, cette règle, Luan l'a gardée avec lui toute sa vie, parce qu'il fallait le dire, ça marchait plutôt bien.

A l'école, c'était difficile. Il avait du mal à rester concentré et la plupart des matières ne l'intéressaient pas. Ce n'est pas pour autant qu'il n'était pas sérieux et qu'il perturbait l'ambiance dans les classes, mais les difficultés avaient fini par se faire remarquer dans ses évaluations. Jusqu'à son arrivée dans la classe d'un professeur en particulier, ce professeur qui avait changé sa façon de voir les choses. Il avait toujours eu cette sensation d'être différent, trop différent d'ailleurs, mais ce n'était pas le cas. Son cerveau fonctionnait différemment, l'histoire s'arrêtait là. ADHD, troubles de l'attention avec hyperactivité, voilà le nom de ce qu'il avait. A partir de là, il avait appris à faire les choses différemment, même si ça lui avait pris du temps, et les choses s'étaient arrangées. Ses résultats avaient doucement augmenté, au point qu'il avait pu éviter le redoublement, ce qui était une sacré victoire.

Ce qui avait énormément aidé Luan, c'était la lecture. Autant il avait besoin de courir partout le plus souvent possible, ou juste faire en sorte de bouger, mais dès qu'on lui mettait un livre entre les mains, il se calmait instantanément. Il adorait la lecture, il avait d'ailleurs assez longuement hésité à devenir libraire, en grande partie parce que plusieurs personnes lui en parlaient. Mais il s'était d'ailleurs assez rapidement rendu compte que non, ce n'était pas sa voie, genre vraiment pas. Mais ça ne l'empêchait pas d'être autant passionné par la lecture qu'il ne l'était par le sport, et sa chambre a très longtemps été le parfait mélange entre les deux d'ailleurs. Il avait tendance à avoir une préférence pour les sports qui se jouaient solo plutôt que les sports qui se jouaient en équipe, mais ça ne l'avait pas empêché de faire partie de quelques équipes quand il était plus jeune.

La mutation du père Oliveira a eu lieu alors que Luan allait avoir 15 ans. Il a fini aux Etats-Unis, en Caroline du Nord. C'était bizarre d'être là-bas, au début, mais ça avait encore plus rapproché les membres de la fratrie. C'est aussi à cette époque qu'il a rencontré celle qu'il aura aimé pendant très longtemps. Le contact sera directement passé entre eux et ils se seront mis ensemble la dernière année avant la fin du lycée. Ils sont restés ensemble quand Luan a rejoint l'université avec l'ambition de devenir professeur des écoles, et ils étaient toujours ensemble au moment où il a quitté la fac, son diplôme en main, et qu'elle trouvait son premier travail. Et puis d'un coup, plus rien. Une discussion qui finit en rupture alors qu'il n'y avait aucune tension entre eux. Une absence de chance de réparer quoique ce soit quand les ponts s'étaient retrouvés coupés d'un coup et qu'elle ne répondait plus à ses messages. L'absence d'explications, l'absence de quoique ce soit. Est-ce que ce qu'elle avait si longtemps ressenti pour lui avait disparu ? Peut-être, oui. Mais si c'était le cas, elle ne le lui avait pas dit.

Et puis, une nouvelle rencontre, à peine quelques mois plus tard. Un accident d'avion qui manque d'arriver, des discussions qui s'enchaînent, avant que ça ne soit les jours et les nuits qui s'enchaînent. Des discussions, des coeurs qui pourraient presque battre à l'unisson, une nouvelle entente et le courant qui passe une nouvelle fois. Les jours se transforment en semaine. Un prénom, Sören. Puis un coup de téléphone, des mots brésiliens balancés par sa soeur qui lui dit de rentrer au plus vite, une forme d'inquiétude qui se créé parce qu'elle ne parle brésilien que quand elle panique. Sören devait le suivre, il ne le fait finalement pas, et Luan se retrouve seul dans cet avion à se demander pourquoi est-ce qu'il devait rentrer si rapidement, surtout alors que sa soeur lui disait que toute la famille allait bien ?

La réponse était tombée. Elle était assez simple d'ailleurs, elle n'était rien d'autre qu'un mot, rien d'autre qu'un prénom plutôt : Neva. Enfin, à ce moment-là elle n'avait pas encore de prénom. Il avait une fille. Il n'aurait jamais dû le savoir, mais, malheureusement pour l'ex-petite-amie de Luan, c'était sa soeur qui s'était occupée d'elle, la jeune femme ayant commencé sa résidence dans ce service à peine quelques semaines avant l'accouchement. Les questions avaient fusées, le plan avait été clair : mettre Neva à l'adoption sans en parler à Luan. Plan détruit par la soeur du nouveau père de famille qui ne supportait pas l'idée qu'il ne soit pas au courant. Deux choix s'offraient à lui, mais l'évidence l'avait frappé dès qu'il avait posé ses yeux sur le bébé.. SON bébé, d'ailleurs. Il était son père, il s'occuperait d'elle, c'était une évidence. Et il était devenu père, devenant sans s'en rendre compte le roc dont elle aurait besoin un jour ou l'autre. La peur que son ex revienne était toujours là, évidemment, mais il avait appris à faire.

Puis d'un coup, il devait dire au revoir à Charlotte et à la Caroline du Nord. Bon, fallait aussi qu'il dise au revoir à l'Est de l'Amérique, à vrai dire. Une mutation à San Francisco qu'il avait tous les droits de refuser -et toutes les raisons, aussi, vu de l'extérieur- mais qu'il n'avait presque pas hésité à accepter. Les valises étaient faites, une maison était trouvée et il était parti avec sa fille, prêt à préparer la rentrée des classes 2023.